Marivaux et le langage


D'après le cours de Mme Rubellin


Etude des pièces :

_Arlequin poli par l'amour

_La Surprise de l'amour

_La Double Inconstance

_Le Prince travesti

_L'Ile des esclaves

_Le jeu de l'amour et du hasard


Toutes ces pièces sont écrites pour le Théâtre Italien (la Comédie Italienne)

Le personnage d'Arlequin figure dans les six pièces.


Marivauder au sens moderne a une nette connotation péjorative, ce verbe renvoie au bavardage, à l'absence d'action.

Le marivaudage dans un sens plus large désigne les procédés au théâtre de l'oeuvre de Marivaux, et renvoient à son style. Pour les critiques contemporains de Marivaux, son style se caractérise par l'excès : trop d'esprit, d'inventions, de détours.

Marivauder est un terme qui s'emploie très rapidement, la première occurrence du terme date de 1734.

On reproche à Marivaux ses néologismes, ses expressions (« tomber amoureux », «fictivement », « scélératesse ») l'utilisation abusive de pluriels («des humilités » au lieu de « l'humilité »).

On reproche aussi à Marivaux de faire un théâtre sans action, réduit à un flot de paroles, de ne parler que d'amour.

Contrairement aux comédies classiques, chez Marivaux la trame principale est très rarement un mariage contrarié et empêché entre deux amants (ex.de Tartuffe) et ses comédies ne se dénouent pas en un mariage, mais davantage en une déclaration d'amour, scène principale des comédies de Marivaux, aveu que les amants retardent par orgueil le plus souvent. C'est à ce dire que mènent la plupart des comédies de Marivaux. Et ce sont les paroles qui font la trame de l'action dramatique.


Le marivaudage au sens restreint est une technique de dialogues appuyés sur des reprises de mots, avec commentaire ou léger changement. (cf. Frédéric Deloffre Une préciosité nouvelle : le marivaudage qui souligne comment Marivaux insiste sur les reprises de mots).

Exemple d'un dialogue :

_ Mais ne l'aimez-vous plus?

_ Qu'entendez-vous par « plus » ?


Il y a refus de répondre, détournement, réflexion sur la langue, mauvaise foi.

Le dialogue de Marivaux, en plus d'être un agent d'investigations psychologiques (capable de souligner la mauvaise foi), est un agent d'investigations sociales, et permet de bien comprendre à quel rang social l'autre appartient : le langage trahit la condition sociale du locuteur.

Le marivaudage possède aussi une dimension méta-linguistique : une réflexion sur la langue est mise en place.


Concernant la vie de Marivaux, on sait très peu de choses. Son vrai nom était Pierre Carlet. Sa date de naissance est approximative, calculée à partir de son extrait de baptême. Les biographies racontant son amour pour l'actrice Sylvia sont purement délirantes.

On sait qu'entre 1710 et 1715 Marivaux publie beaucoup dans l'anonymat. Il signe du nom de « Marivaux » à partir de 1716.



Le contexte théâtral

En 1720 on peut voir du théâtre à Paris : la Comédie Française (fondée en 1680 par Louis XIV). La Comédie Française est une troupe officielle, composée des comédiens ordinaires du roi. C'est la fusion des trois principales troupes de l'époque. Cette troupe occupe une position monopolistique.

La Comédie Française joue aussi bien des tragédies que des comédies ; ce sont des pièces en français.

Les comédiens français sont appelés les romains : ils jouent souvent des pièces du monde romain (les pièces de Corneille par exemple).

Le jeu des tragédiens est un jeu statique où seul le visage et les bras bougent. Les habits sont fastueux.

Le jeu des comédiens est assez statique aussi ; mais ici, pas de grandes plumes comme dans les tragédies.

A la Comédie Française, il n'y a pas de metteur en scène (la fonction est inventée au XIXème) : de là l'absence d'harmonie, chaque acteur se posant sur le devant de la scène au moment de sa tirade, tentant d'être plus convainquant que le précédent, tandis que le suivant joue du bilboquet derrière lui, attendant son tour.

Les principaux auteurs précédant Marivaux depuis la mort de Molière se nomment Lesage (Turcaret), Dancourt, Dufresny, Regnard (Le legataire universel).


La Comédie Italienne est née de la Commedia dell' arte du XVIème. C'est une comédie de types : les maîtres (dont les grands types sont le Docteur, Pantalon) ; les valets (Arlequin, Trivelin, Brighella, Polichinelle, Pierrot). On retrouve fréquemment un valet malin et un autre idiot. L'histoire d'Arlequin est notable, puisqu'alors qu'il était le valet idiot, l'acteur Dominique le rendit spirituel au point qu'Arlequin devint le valet malin, remplacé par Pierrot dans le rôle du valet idiot.

C'est un théâtre gestuel qui comporte beaucoup de Lazzi (les Lazzi sont des jeux de scène sans parole où l'on pouvait improviser : voir dans Arlequin poli par l'amour le début de la scène 5). Mais Marivaux réinterprète psychologiquement ces Lazzis.

C'est un théâtre où la gestuelle joue un grand rôle, ainsi que les mouvements, les machines, trous, trappes, etc...

C'est un théâtre d'improvisations : un canevas est tracé et les acteurs le remplissent par un jeu collectif d'improvisation. Louis XIV décidera d'institutionnaliser ce théâtre. Il fermera en 1697, sous la pression de la Comédie Française à qui il fait de l'ombre. Louis XIV meurt en 1715 et dès 1716 son successeur, le régent, le duc d'Orléans, ré-ouvre le Théâtre Italien : il s'appelle désormais : Nouveau Théâtre Italien et joue des canevas de l'ancien Théâtre Italien.

A partir de 1718 avec le Nouveau Théâtre Italien, on passe à du Théâtre d'auteur. En 1720 Marivaux arrive chez les italiens et propose Arlequin Poli par l'Amour.


Quelles sont les caractéristiques de ces deux Théâtres, Italien et Français ?


Théâtre Français

Théâtre Italien

On recherche la vraisemblance

Invraisemblance, goût pour la magie

On recherche le naturel

On recherche la fantaisie, l'artifice (imagination)

Théâtre sérieux

Théâtre de conventions : le spectateur « marche »

Marivaux aurait reproché aux acteurs de la Comédie Française d'avoir la « fureur de montrer de l'esprit »

Le jeu est plus spontané, moins spirituel, plus physique (lazzi)

Arlequin Poli par l'Amour est une pièce en un acte. On allait en voir plusieurs au théâtre ( de 17h à 22h). Cette pièce était donc faite pour être jouée après une grande pièce. C'est l'unique pièce de Marivaux qui porte Arlequin dans son titre alors que Arlequin est présent dans 13 de ses comédies. C'est qu'en 1720 Arlequin est une vedette : Thomassin, son acteur. Ses répliques sont courtes, car Thomassin n'est pas français mais italien. Marivaux écrit pour lui. Arlequin ne plaît pas au public par ses tirades mais par ses lazzi. Sur les 36 comédies de Marivaux, c'est dans Arlequin Poli par l'Amour qu'il y a le plus de didascalies. Elles sont descriptives et non prescriptives. En effet, les pièces étaient publiées après représentations. Arlequin Poli par l'Amour illustre la parfaite collaboration entre acteur et auteur : Marivaux fait un Trivelin très intelligent et qui parle beaucoup (Dominique, le fils du Dominique qui jouait Arlequin). Marivaux a déjà conscience que la posture (repli de la tête sur le coeur d'Arlequin Scène II) révèle de la psychologie. L'exemple du baise-main montre que pour faire rire, Marivaux prend une convention sociale et un personnage qui fera rire de sa méconnaissance d'icelle.


Arlequin Poli par l'Amour résulte de la fusion de différentes inspirations :

_Des contes merveilleux

_De l'Opéra

_Des canevas italiens

_De la mode pastorale


Le personnage d'Arlequin est créé en France fin XVIème siècle par Tristano Martinelli. On a rapproché « Arlequin » d'un personnage diabolique des légendes germaniques.

Arlequin a comme signes distinctifs : un demi masque noir, un chapeau plat avec une queue de lapin ou de renard, un habit rapiécé, une ceinture portée très bas, une batte (ou latte : une épée de bois)

Arlequin est un « petit homme habile », Thomassin étant petit.


Au XVIIème Dominique Biancolelli joue Arlequin pendant 28ans (1660-1688), c'est lui qui affine son caractère et lui donne de l'esprit.


En 1739 Thomassin meurt : Marivaux cesse d'écrire des pièces avec Arlequin.


Arlequin est récupéré à partir de 1789 : il devient un militant révolutionnaire, lui qui joue un rôle de valet dans toutes les pièces de Marivaux excepté dans Arlequin Poli Par l'Amour et dans La Double Inconstance où il est un paysan. Mais Arlequin n'es pas un valet attaché toute sa vie à un seul maître. Il revendique sa pauvreté, il est libre de dire ce qu'il pense, de se mouvoir où bon lui semble. Sa liberté de parole ne va pas sans sa balourdise : malin et balourd à la fois, il incarne le bon-sens populaire.

Scène 8 perce l'influence de la tragédie : « au désespoir et avec feu »

Pour conclure, Arlequin Poli par l'Amour est une pièce intéressante pour comprendre l'évolution d'Arlequin et les débuts de Marivaux : on remarque que Marivaux est fasciné par la psychologie du sentiment amoureux : jalousie féminine, inconstance, trahison, mise à l'épreuve sont traitées.



La double inconstance


Dès le lever du rideau la situation est bloquée, le temps est arrêté sur le blocage de Silvia. Trivelin est coupé par Silvia. On est vraiment dans une forme de marivaudage, elle se défend par un mot : « cependant ». Elle attaque Trivelin sur sa manière de parler. Elle comprend qu'elle est infantilisée et riposte sur les mots.


Acte I scène 4 : On voit brutalement de nouveau Trivelin. C'est une scène parallèle à la scène 1. Arlequin ici saute partout, fait de petits yeux, se colle, ne parle pas correctement (« qu'est-ce que c'est que vous »), le langage est révélateur de sa condition sociale. Silvia elle ne choque pas par son langage. Marivaux fait d'Arlequin un gros balourd et veut chosifier Trivelin et ne pas le rendre digne. Trivelin joue sur les mots, Arlequin s'énerve, il est constamment en mouvement, il comprend toujours le langage dans le sens le plus concret, il est à la fois balourd et malin. Sa malice est le moteur de la critique sociale de la pièce, du mode de vie de la cour. Marivaux se sert de son mélange d'esprit et de balourdise pour séduire le public et faire rire. Marivaux nous indique qu'Arlequin doit faire attention à bien parler. Celui-ci est toujours matériel, son langage est prosaïque, proche de la réalité. Par sa dénonciation d'un acte de violence politique (?), l'accusation est le dernier emploi trivial qui s'oppose au langage élevé de la cour qui lui est hypocrite.

Dans la pièce Arlequin incarne les bonnes valeurs : justice, langage vrai, bon sens.


Acte III : Arlequin dénonce le langage de la cour. L'honneur et l'ambition recouvrent toute sorte de bassesses morales.


Acte 1 scène 1 ; acte 1 scène 4

Arlequin cède par les repas. Le marivaudage ici : l'action est la progression du dialogue.

Une trouve une portée critique du langage acte 3 scène 4 : on trouve une définition de l'honneur (écho à l'acte 1 scène 10).

On note une différence de langage entre Arlequin et le seigneur. A l'époque Arlequin et Trivelin avaient le même costume. Pour Arlequin la valeur suprême est l'amour. Pour le seigneur c'est l'ambition. Exemple de créations avec le langage : « friponner la gratification »

Arlequin possède des valeurs morales d'honnêteté. Le seigneur n'est lui pas moral. Mais il va toucher la corde sensible d'Arlequin : « vous ferez plaisir au prince » lui dit-il.

L'intervention « Qu'est-ce que c'est donc » est une demande de définition.

Arlequin abuse de proverbes, reflet du bon sens populaire. Il incarne une forme d'humanisme contre le monde de la cour.

Le seigneur est censé instruire Arlequin des usages de la cour. La satire des arrivistes de la cour n'est pas une nouveauté (Molière, La Bruyère, la Fontaine, la Rochefoucauld). On trouve l'idée que les mots ne prennent sens qu'en contexte. Marivaux montre que les mêmes mots ne veulent pas dire la même chose en fonction du contexte.

En 1721 est publié Arlequin sauvage par Delisle. C'est un grand succès du XVIIIème, une pièce très jouée à la comédie italienne qui valait par la performance de l'acteur.


Le prince travesti (1724) acte 1 scène 6

C'est une pièce pour la comédie italienne, qui se distingue par son intrigue politique. Elle se déroule à Barcelone. Lélio travestit sa condition de prince. Frédéric veut l'évincer.

Ici le sentiment amoureux préexiste à la pièce (acte. 1). On trouve des menaces de mort : c'est une comédie héroïque en même temps. On frôle toujours le tragique. On voit comment pouvoir et amour s'entremêlent, c'est une pièce un peu shakespearienne.

« Avec deux yeux ne dit-on pas ce que l'on veut » : c'est la thématique du langage non verbal.

La bouche peut mentir mais les yeux ne mentent pas (ceux qui auront croisé la route d'une allumeuse sauront à quel point c'est faux, mais bref).

Le langage non verbal chez Marivaux s'effectue par les déplacements : « feignons de sortir afin qu'il m'arrête »

Mais aussi par l'air (celui qu'on a, pas celui qu'on respire) : l'air ne trompe-pas

Ou encore par les gestes.


Mais le rôle d'Arlequin dans tout ça ? Et bien, c'est le contre-poids du tragique.


Scène 6 : « la manière dont vous me parlez m'embarrasse » : métadiscours : on parle de comment l'on parle. Chez les personnages il y a toujours cette peur de se déclarer, cette peur d'aimer sans retour à cause de l'amour-propre. Marivaux montre que les personnages se protègent par le langage. On passe par le discours hypothétique, on avoue par l'hypothétique. « supposons que je vous aime ». Utilisation du conditionnel : c'est une protection liée à l'amour propre. Lélio répond au futur et non au conditionnel pour lui faire comprendre qu'elle peut arrêter le conditionnel. Marivaux est vraiment un explorateur des mécanismes des mouvements amoureux.

Le « je vous adore », l'aveu amoureux franc et massif est très rare. L'aveu se fait comprendre par un agenouillement dans La surprise de l'amour. Dans la deuxième surprise de l'amour c'est la rougeur.

Lélio « lui baisant la main » : les gestes parlent plus. Le marivaudage s'achève à l'aveu.

Arlequin a un rôle spécifique ici : il sert de contre-poids au tragique. Lisette essaie de séduire Arlequin pour le pousser à trahir.


L'île des esclaves

C'est une pièce en un acte, une pièce de fin de soirée. On y voit Marivaux pratiquer une pièce utopique. On retrouve le thème de l'épreuve, du théâtre dans le théâtre, il y développe une forme d'humanisme.


Le jeu de l'amour et du hasard


C'est une pièce jouée pour la première fois à la comédie italienne en 1730.

Dans le théâtre de Marivaux il n'y a pas de hasard en amour. Il montre ici comment l'orgueil agit de façon à nous protéger : création d'une barrière par le langage. L'intitulé « le jeu de l'amour et du hasard » permet à Marivaux d'insister là-dessus. Quelle est la nouveauté ici ? C'est le double travestissement. Chacun des deux futurs amoureux à l'idée de se travestir, de prendre le rôle de son valet : on obtient une symétrie qui met en présence une jeune femme (Silvia) qui voudrait connaître qui elle va épouser. C'est la fille de M.Orgon, un grand bourgeois (l'intrigue est placée dans un cadre bourgeois). Elle échange ses habits avec Lisette. Dorante, qui doit épouser Silvia, échange ses habits avec Arlequin pour la connaître. Arlequin devient alors Dorante, et Dorante devient Bourguignon. En effet, il y a une sorte de définition irréductible d'Arlequin : il doit être joué par Thomassin. Arlequin garde son habit sous ceux de Dorante. La symétrie est donc faussée. Le comique va tirer vers Arlequin.

Acte 1 scène 6 : Dorante parle comme un valet très poli

Acte 1 scène 7 : Dorante rencontre Silvia, les deux sont en valets

Acte 1 scène 8 : Arlequin arrive et se montre incapable de prendre le langage d'un maître. Il se précipite, il croit l'affaire conclue, il paraît grossier à Silvia. Arlequin amène un comique de détente. S'effectue un renvoi comique à la scène 1, qui parle de l'importance du mariage quand Arlequin parle de bagatelle à la scène 8. Marivaux montre que le langage est révélateur des conditions sociales.

Acte 3 scène 6 : se déroule la rencontre Lisette-Arlequin qui jouent les nobles. C'est un pastiche de la préciosité, une parodie du langage précieux. La parodie produit un effet burlesque. Arlequin ne sait pas les conventions : « souffrez que je la demande à vous »

Les proverbes, expressions familières trahissent Arlequin. Dorante va devoir faire un effort plus grand à cause de l'amour propre. On assiste à une mise à l'épreuve des coeurs.